L’Institut des Politiques Publiques a émis une note à propos de la rupture conventionnelle et des licenciements.
Cette note vient donner des arguments à celles et ceux qui militent pour un changement de règles. En voici le résumé.
Introduite en 2008, la rupture conventionnelle individuelle (RCI) avait pour objectif de simplifier la fin d’un contrat à durée indéterminée (CDI) et d’encourager les séparations à l’amiable, en substitut aux licenciements pour motif personnel. Elle permettait à l’employeur et au salarié de convenir ensemble de la rupture du contrat, sans justification du motif, tout en maintenant l’accès à l’assurance chômage. Moins coûteuse et plus rapide qu’un licenciement, la RCI devait réduire les contentieux prud’homaux et assouplir le marché du travail.
Les auteurs de l’étude, Pauline Carry, Adrien Mangold et Benjamin Schoefer, s’appuient sur des données administratives et des enquêtes pour mesurer la part de licenciements remplacés par des ruptures conventionnelles et identifier les raisons qui freinent ce recours. Leurs analyses montrent que seulement 12 % des licenciements pour motif personnel ont été convertis en ruptures conventionnelles, soit environ un quart de l’ensemble des ruptures conventionnelles enregistrées.
Ces licenciements remplacés ne sont pas ceux qui auraient conduit à un litige. Ils concernent des situations déjà conciliantes, comme les fins de carrière à l’approche de la retraite. L’enquête menée auprès de directeurs des ressources humaines révèle que trois obstacles principaux limitent la conversion des licenciements en ruptures conventionnelles : des relations de travail conflictuelles, l’usage du licenciement comme outil disciplinaire vis-à-vis du personnel, et les divergences d’opinions sur les chances de succès devant les prud’hommes.
La recherche repose sur les bases administratives des mouvements de main-d’œuvre (MMO) et des déclarations annuelles de données sociales (DADS), couvrant la période 2002-2014, ainsi que sur plusieurs enquêtes, dont l’enquête REPONSE de la DARES et une enquête inédite conduite en 2024 auprès de 210 DRH.
Créée pour favoriser les ruptures amiables, la rupture conventionnelle visait à réduire la dualité du marché du travail entre CDI rigides et contrats temporaires plus flexibles, à éviter les litiges et à faciliter les transitions professionnelles tout en préservant les droits au chômage. En théorie, elle devait se substituer principalement aux licenciements pour motif personnel, qui représentaient avant 2008 près de 77 % des licenciements. Ces derniers, strictement encadrés par la loi, exposent les entreprises à un risque élevé de contentieux, environ un quart étant portés devant les prud’hommes.
Pourtant, les analyses confirment que cette substitution n’a été que marginale. Trois méthodes indépendantes convergent vers le même résultat : à peine 12 % des licenciements ont été remplacés par des ruptures conventionnelles. Ce faible taux traduit la persistance d’une forte conflictualité dans les séparations. De plus, le nombre de recours prud’homaux n’a pas diminué après 2008.
Les licenciements convertis en ruptures conventionnelles sont surtout ceux déjà négociés à l’amiable. C’est notamment le cas des départs environ trois ans avant l’âge de la retraite, où le salarié peut percevoir jusqu’à trois ans d’allocations chômage avant de liquider sa pension. Dans ces situations, la proportion de licenciements remplacés par une rupture conventionnelle atteint 37 %, bien supérieure à la moyenne.
L’enquête menée auprès des DRH montre que la moitié d’entre eux discutent de la possibilité d’une rupture conventionnelle avant de prononcer un licenciement. Les 3 causes principales empêchant la conclusion d’un accord sont :
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l’hostilité entre les deux parties, présente dans 60 % des cas ;
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l’utilisation du licenciement comme signal disciplinaire, citée par 53 % des répondants ;
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les divergences d’interprétation des chances de succès devant les prud’hommes, mentionnées par 47 %.
Lorsque ces trois facteurs de conflit sont absents, les DRH estiment que deux tiers des licenciements pourraient être remplacés par des ruptures conventionnelles.
Les données de l’enquête REPONSE confirment que le faible recours à la rupture conventionnelle est étroitement lié à la qualité des relations de travail. Les entreprises où les salariés se sentent peu écoutés, mal reconnus, ou où le climat social est tendu, ont un taux de conversion particulièrement bas.
En revanche, les ruptures conventionnelles ont largement remplacé les démissions. Après 2008, le nombre de démissions a chuté de 19 %. Près de 40 % des salariés ayant signé une rupture conventionnelle déclarent qu’ils auraient démissionné si le dispositif n’avait pas existé. La plupart d’entre eux perçoivent des allocations chômage, ce qui témoigne d’un basculement d’un mode de rupture sans indemnisation vers un mode ouvrant droit à une couverture publique.
Pour les employeurs, ces transformations sont parfois acceptées parce qu’elles facilitent la transition : l’employé reste plus longtemps dans l’entreprise pour préparer son départ, en contrepartie d’une indemnité de rupture. En moyenne, chaque jour supplémentaire passé avant la sortie est associé à une augmentation de 2,3 % du salaire mensuel dans l’indemnité versée. Ces pratiques concernent surtout les cadres, mieux placés pour négocier, et plus coûteuses pour l’assurance chômage.
En conclusion, l’étude de Carry et Schoefer montre que la rupture conventionnelle n’a pas profondément transformé la dynamique des licenciements pour motif personnel. Elle s’est essentiellement substituée à des démissions ou à des séparations déjà consensuelles, et non aux licenciements conflictuels. Si elle a permis d’offrir un cadre plus souple aux ruptures à l’amiable, elle a aussi élargi l’accès aux indemnités chômage, entraînant une hausse des dépenses publiques sans réduire les contentieux. Les effets à long terme de cette réforme sur les trajectoires professionnelles et sur l’efficacité du marché du travail restent encore à explorer.