Trop d’employeurs pensent encore que la prévoyance est un simple « plus » social qu’ils peuvent proposer ou non. C’est une erreur. Dans certains cas, la prévoyance est obligatoire, et son absence engage directement la responsabilité de l’entreprise. Et comme souvent en droit du travail français, les sanctions tombent sans avertissement, avec à la clé : redressement URSSAF, rappels de cotisations, et litiges prud’homaux coûteux.
La prévoyance obligatoire : qui est concerné ?
Depuis l’Accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013, toute entreprise a l’obligation de mettre en place une complémentaire santé minimale. Mais la prévoyance, elle, ne concerne pas uniquement les frais médicaux : elle couvre les risques lourds, tels que l’incapacité de travail, l’invalidité ou le décès.
Cette prévoyance n’est pas obligatoire pour tous les salariés… mais elle l’est systématiquement pour les cadres, en vertu de la convention AGIRC du 17 novembre 2017 (ex-Article 7 de la CCN de 1947). Autrement dit : toute entreprise employant au moins un cadre doit souscrire un contrat prévoyance couvrant le risque décès, à ses frais.
Et dans les faits ? Des dizaines de milliers d’employeurs l’ignorent ou l’oublient, jusqu’au jour où le salarié décède ou est invalide, et que la famille ou le juge demande des comptes.
Ce que dit la loi (et ce que l’URSSAF contrôle)
L’obligation légale découle de la fusion des régimes AGIRC-ARRCO, et a été maintenue :
Tout employeur doit garantir à ses cadres une prévoyance décès avec un financement patronal d’au moins 1,50 % de la tranche 1 du salaire brut.
Cette obligation vaut :
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dès le premier cadre embauché,
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quelle que soit la taille de l’entreprise,
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même si le contrat de travail est un CDD.
En cas de contrôle, l’URSSAF vérifiera :
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l’existence d’un contrat collectif en cours de validité,
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le niveau de garanties prévues (notamment le décès),
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la répartition des cotisations (au moins 1,50 % à la charge de l’employeur sur T1).
Un simple oubli ou une mauvaise répartition des cotisations peut déclencher un redressement URSSAF sur les trois dernières années, avec pénalités de retard. Et ce n’est que le début.
Les conventions collectives peuvent imposer bien plus
De nombreuses conventions collectives nationales (CCN) vont beaucoup plus loin que l’obligation de base. Certaines imposent une prévoyance non seulement pour les cadres, mais aussi pour les non-cadres, avec des garanties précises : indemnités journalières, rente invalidité, capital décès majoré, rente éducation, etc.
Si votre entreprise applique une CCN de ce type (ex : Syntec, BTP, Métallurgie…), le non-respect de ces obligations conventionnelles est assimilé à une faute de l’employeur. L’administration ne fait pas de distinction entre mauvaise foi et négligence.
Une vérification annuelle de la conformité du contrat de prévoyance avec la CCN applicable est donc indispensable, surtout en cas de changement d’organisme assureur.
Sanctions possibles en cas de défaut de prévoyance
Les conséquences d’un manquement à l’obligation de prévoyance peuvent être lourdes :
1. Redressement URSSAF
L’entreprise peut se voir réintégrer les cotisations dans l’assiette de charges sociales, avec rappel sur 3 ans, majorations et pénalités de retard. Le tout même si le salarié n’a jamais eu de sinistre.
2. Action prud’homale
Si un salarié ou ses ayants droit subissent un préjudice du fait de l’absence de couverture (ex : décès sans capital versé), l’entreprise peut être condamnée à verser elle-même le capital décès, voire des dommages-intérêts.
3. Pertes fiscales
Les exonérations de charges patronales prévues pour les contrats collectifs conformes sont annulées. En cas de contrôle, cela entraîne une double peine fiscale et sociale.
4. Faute inexcusable en cas d’accident du travail
En l’absence de couverture prévoyance alors que la CCN l’imposait, la faute inexcusable de l’employeur est plus facilement retenue. Ce qui ouvre la voie à des réparations intégrales par l’entreprise, sur fonds propres.
Procédure : comment mettre en place une prévoyance conforme
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Vérifier votre convention collective : est-ce qu’elle impose une prévoyance ? Pour qui ? Quelles garanties minimales ?
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Choisir un organisme assureur : assurez-vous qu’il propose des contrats labellisés et qu’il sait gérer les obligations CCN.
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Signer un contrat collectif : il doit être formalisé, à adhésion obligatoire, et respecter les critères de solidarité.
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Informer les salariés : remise de la notice d’information obligatoire, mention dans le contrat de travail possible.
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Déclarer correctement les cotisations en DSN : ventilation employeur/salarié, identifiants de contrat, assiette.
Un contrat de prévoyance non déclaré en DSN est considéré comme inexistant en cas de contrôle.
Externaliser ou non la gestion de la prévoyance ?
La plupart des entreprises délèguent à leur cabinet d’expertise comptable ou à un courtier la mise en conformité de leur contrat de prévoyance. Encore faut-il que ces prestataires soient réellement au fait des subtilités juridiques et DSN liées à ce sujet.
En interne, il est impératif que le service RH, le service paie, et la direction générale aient une vision claire des garanties en vigueur, du coût pour l’entreprise, et des risques encourus.
La prévoyance n’est pas un choix, c’est une obligation juridique
L’oubli d’une obligation de prévoyance ne sera jamais excusé par l’URSSAF ni par un juge. Qu’il s’agisse de la couverture minimale des cadres ou des garanties imposées par votre convention collective, l’entreprise a l’obligation de vérifier, mettre en place, et déclarer un contrat conforme. Sans cela, elle s’expose à des sanctions lourdes, cumulatives, et parfois rétroactives.
En 2025, la vigilance ne suffit plus. Il faut de la conformité contractuelle, de la transparence déclarative, et un pilotage juridique rigoureux.